Interview : Amélie Nothomb, la fiancée de Tokyo !

nothombEn 2007, Amélie Nothomb publiait Ni d’Eve, ni d’Adam (Prix de Flore), le récit autobiographique de son idylle passionnée avec Rinri, un jeune tokyoïte. Ce mercredi, le cinéaste Stéphane Liberski en propose la transposition cinématographique avec Tokyo Fiancée. Le long métrage, porté par Pauline Etienne, a ravi l’auteure belge. Rencontre !   

 

 

Au cinéma, Ni d’Eve, ni d’Adam est devenu Tokyo Fiancée. Est-ce que ce titre vous satisfait ?

Oui, il me convient tout à fait parce que je connais l’humour dévastateur du réalisateur Stéphane Liberski. Dans mon roman Une forme de vie, je le mentionne déjà avec une certaine consternation. Il s’agit en réalité du titre lamentable qui a été choisi pour la version américaine de Ni d’Eve, ni d’Adam. On dirait un film avec Sandra Bullock !

Acceptez-vous facilement de céder les droits d’adaptation de vos romans ?

Oh non, oh non ! C’est plutôt le contraire. Je procède en deux temps. On me soumet d’abord une demande. Là, je me montre odieuse et difficile. Je dis toujours « Non, non et non ! ». Cela dit, il peut arriver qu’un cinéaste me convainque par miracle. Auquel cas, dans un second temps, je deviens exactement l’inverse de ce que j’étais pendant la première phase. Pour que ça marche, il faut me montrer qu’on est très intelligent (rires), qu’on a très bien compris mon livre et qu’on l’aime vraiment. Il faut aussi que la personne ait déjà fait des films que je puisse voir pour me faire une idée. Une fois le projet lancé, tout doit se faire sans qu’on me demande mon avis, jusqu’aux choix des acteurs. J’aime être vierge le soir de la première.

Tokyo Fiancée : Photo Pauline EtienneStéphane Liberski a-t-il eu du mal à vous convaincre sur Tokyo Fiancée ?

Stéphane est un ami de vingt ans. C’est un écrivain et un cinéaste que j’admire énormément et qui est assez connu en Belgique. C’est aussi un des hommes les plus intelligents que je connaisse. A la parution de Ni d’Eve, ni d’Adam en 2007, il m’a fait comprendre qu’il avait profondément aimé mon travail. D’autre part, peu de personnes au monde aiment autant et aussi intelligemment le Japon que lui. Pour ces raisons, il n’a pas eu beaucoup de mal à me convaincre.

Jusque-là, êtes-vous satisfaite des adaptations de vos romans ?

Ça dépend. J’ai eu trois cas. Il y a eu Hygiène de l’assassin : je suis sortie de la salle en courant pour aller pleurer tellement c’était mauvais. Et il y a eu Stupeur et tremblements et Tokyo Fiancée qui sont des films magnifiques. Au final, je suis comblée parce que j’ai eu droit à deux extases pour une seule consternation.

Vous êtes donc très fière de Tokyo Fiancée

Oh que oui ! Un des miracles du film, c’est Pauline Etienne (qui joue le rôle d’Amélie Nothomb, ndlr). Cette jeune fille est ravissante et, a priori, elle ne me ressemble vraiment pas. Nous ne nous sommes jamais rencontrées. C’est une si bonne actrice que parfois, à l’image, j’avais l’impression de me voir et de m’entendre dans certains tons de voix. Je me disais : « C’est dingue ! » C’était comme si elle avait assisté à ma vie. Par ailleurs, il s’agit d’un film extrêmement japonais. Ça me ravit.

Tokyo Fiancée : Photo Pauline Etienne, Taichi InoueLe sentiment amoureux liant Amélie à Rinri compose la pierre angulaire du récit. Est-il bien retranscrit selon vous ?

Magnifiquement ! Admirablement ! Avec une finesse extrême ! J’étais d’autant plus sensible à ça que j’ai l’impression que mon livre n’a pas forcément très bien été compris par tout le monde. Beaucoup de lecteurs ont dit : « Mais vous étiez une vraie peau de vache Amélie Nothomb d’avoir fait ça à ce pauvre garçon ! ». Dans le film, on comprend mieux que je l’aimais beaucoup en fait. Il fallait que je vive cette relation magique qui, certes, ne pouvait pas durer plus longtemps. Quand on est amoureux, il y a cette énergie formidablement puissante mêlée à un sentiment de danger constant.

Est-ce énervant de rencontrer des lecteurs qui ne comprennent pas toujours ce que vous voulez véhiculer ?

Non mais il y a des moments où les gens ne réalisent pas que la littérature n’est pas une leçon de morale. J’ai reçu des lettres d’espèces de Schtroumpfs à lunettes qui me disaient : « Oh mais c’est pas bien ! On fait pas ça ! » Moi, je raconte juste les choses comme je les ai vécues. Je ne suis pas là pour dire si c’est bien ou non. Je trouve ça culotté de faire la morale à un écrivain. On aime ou on n’aime pas : je comprends ! Mais comment peut-on juger les histoires d’amour des autres ? C’est dingue !

Revenons au film. Comment avez-vous trouvé l’intégration à l’intrigue de la tragédie de Fukushima ?

Mais quelle idée géniale ! Là, Stéphane Liberski a fait un coup de génie. Fukushima a eu lieu au commencement du tournage et l’a totalement interrompu. On a cru qu’il n’y aurait plus de film. Avoir rajouté ça donne à l’ensemble une profondeur extraordinaire qui prouve que j’ai eu raison de lui faire confiance.

Tokyo Fiancée : Photo Pauline Etienne, Taichi InoueQu’est-ce qui vous fascine autant au Japon ?

Il y a quelque chose qu’il n’y a pas ailleurs. Tous ceux qui sont allés au Japon le savent. Je ne dis pas que c’est le seul pays magnifique de la planète. Mais il y a une force dans la terre et l’âme japonaises qui vous marque à tout jamais. Je ne connais pas de voyage plus indispensable et marquant. C’est indicible. C’est comme si ce territoire avait une force magnétique. On le quitte différent, même si on y reste qu’une heure.

Qu’avez-vous appris de majeur là-bas ?

Énormément de choses, c’est trop long à dire. Mais plus que tout, il m’a appris l’importance de l’obscurité. Tous les pays du monde considèrent la lumière comme étant supérieure à l’obscurité. C’est l’inverse au Japon ! Cet enseignement est d’une profondeur incroyable. Je n’ai pas fini d’y méditer. Le Japon est aussi le pays qui m’a appris que la nostalgie n’était pas nécessairement un sentiment désespéré mais salvateur. C’est ce qui m’est arrivé de plus beau dans ma vie et qui a le plus compté dans ma formation. Mon enfance au Japon est le socle de ma personne. La brièveté de mes romans vient d’ailleurs de cette école de l’épure qu’est l’art nippon. Là aussi, j’ai un certain sentiment de malentendu quand certains lecteurs viennent les mains sur les hanches me dire : « Ah merde quoi ! Vos bouquins sont trop courts ! » Ils ont l’air de penser que c’est de la paresse. Mais il est plus difficile de proposer une épure qu’un gros pavé verbeux. L’épure se précise car j’écris beaucoup. Je suis sur mon 81ème roman. Plus j’écris, plus je sais ce dont il faut se passer.

Que va-t-il advenir de tous ces romans que vous ne publierez pas ?

A ma mort, j’ai décrété qu’il fallait les couler dans un bloc de résine. Comme ça ils seront à la fois éternels et parfaitement inaccessibles.

Tokyo Fiancée : Photo Pauline Etienne, Taichi InoueVous allez souvent au cinéma ?

Oui ! J’adore ça, je vais voir de tout : du blockbuster aux films plus confidentiels… Si je vivais seule et que j’avais plus de temps, j’y serais allée tous les jours. Certains moments de cinéma m’ont peut-être influencée de manière totalement inconsciente. Le film le plus important pour moi est Vertigo d’Hitchcock. Plus on le voit, plus il est mystérieux et fascinant. Plus récemment, j’ai adoré Snow Therapy, Whiplash, Mommy ou Timbuktu, qui est un film nécessaire.

Lequel de vos romans rêvez-vous secrètement de voir au cinéma ?

Mercure… Tout en sachant que c’est impossible car j’aurais adoré qu’il devienne un film d’Hitchcock.

Écrire, ça symbolise quoi pour vous ?

C’est ma recherche de beauté, de sens, ma quête philosophique, mon lien avec le monde. C’est mon métier, c’est ce qui m’a permis de m’intégrer à l’Europe. L’écriture, c’est vraiment toute ma vie. A part ça, je ne fais strictement rien.

Propos recueillis par Mehdi Omaïs

Leave a reply