Critique : The Revenant

D’Alejandro González Iñárritu avec Leonardo DiCaprio, Tom Hardy et Will Poulter

La note des Cinévores : 4étoiles

A chaque prestation, pour le public comme pour la presse, c’est la même rengaine : « DiCaprio n’a jamais été aussi bon ». Qu’il soit psychopathe chez Tarantino ou trader psychédélique chez Scorsese, le comédien le plus doué de sa génération n’a jamais cessé de repousser les frontières d’un talent illimité. Avec The Revenant, il monte carrément dix crans au-dessus, rebootant l’échelle de l’excellence. Cette fulgurance, il la doit au personnage mutique de Hugh Glass, un trappeur ayant réellement existé et inspiré un roman à l’écrivain américain Michael Punke. En pleine conquête de l’Ouest, ce dernier, veuf et père d’un enfant qu’il a eu avec une indienne, est sauvagement attaqué par un grizzly. Le corps lacéré et purulent, il est laissé pour mort par le salaud de son équipe (Tom Hardy). Lequel, avant de l’ensevelir, prend soin de poignarder son fils. Sur la base d’un scénario vieux comme le monde, invariablement axé sur la quête vengeresse de son héros, Alejandro González Iñárritu poursuit le brillant virage qu’il a amorcé avec Birdman, son précédent film. Servi par le travail monumental d’Emmanuel Lubezki, son génie de chef-opérateur – qui a su tirer le meilleur des décors et de la lumière réelle –, le cinéaste mexicain orchestre un authentique chant funèbre où résonnent les ardentes notes de sa noirceur artistique. Cette forme de désespoir qu’il figure si bien, depuis les prémices de sa carrière, malgré l’emphase qui l’accompagne ça-et-là. Si ses détracteurs lui reprocheront de tirer sur la corde du sur-symbolisme, il leur sera plus ardu de bouder le plaisir d’une mise en scène virtuose, aérienne et limpide jusqu’aux scènes de combats, filmées avec une maestria dont nos yeux n’étaient guère coutumiers.  Aucun doute : The Revenant marque d’une pierre blanche la rencontre foudroyante entre un acteur de folie et un cinéaste en état de grâce. Chacun sert et inspire l’autre dans une espèce de flux-tendu qui nourrit l’appétit d’ogre de ce survival. Croqué par un ours, baladé dans des rapides, à poil dans une carcasse d’animal ou torturé par le froid, Leonardo DiCaprio donne tout : à la fois roi et victime de ces immenses espaces, souvent amplifiés par des contre-plongées de toute beauté. Il a fait de ce Hugh Glass – avec sa barbe capitonnée de terre et de bave gelée, ses plaies béantes, ses lèvres anhydres… – un indestructible revanchard de grand standing, un être hybride partageant l’ADN de Jason Voorhees, Freddy Kruger, Robinson Crusoé et d’un super-champion de Koh Lanta. A quelques longueurs près, Iñárritu signe une épopée viscérale, violente et élégiaque, multipliant les morceaux de bravoure. Son film met KO.

Mehdi Omaïs

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