Interview : Abderrahmane Sissako ouvre les portes de Timbuktu !

timbuktuCe mercredi sort en salles le magnifique Timbuktu d’Abderrahmane Sissako. Injustement boudé au dernier festival de Cannes, où il concourrait pour la Palme d’Or, ce drame onirique est un cri de rage contre l’obscurantisme. Huit ans après son excellent Bamako, le cinéaste mauritanien continue d’interroger le monde et de l’observer sans jamais se poser en donner de leçons. Rencontre !

 

Comment est né Timbuktu ?

Je dirais que le déclencheur a probablement été la lapidation de ce couple à Aguelhok, au Mali. Ce drame s’est déroulé dans une forme d’indifférence des médias. Pas forcément parce que les victimes sont différentes mais parce que les choses sont faites comme ça. Aujourd’hui, on parle plus facilement d’un énième téléphone qui sort que de deux personnes qui meurent. J’essaie d’inscrire mon travail de cinéaste dans quelque chose qui doit être essentiel. Je n’aime pas la facilité.

Timbuktu : PhotoIl y a de la sérénité dans Timbuktu. Mais également beaucoup d’inquiétude. Est-ce un sentiment qui vous gagne ?

Oui, oui… C’est inquiétant de voir que des groupes de gens, pour des raisons diverses, veulent tout changer. Veulent imposer la manière de crier, de sortir, d’écouter de la musique ou de jouer au football… Aussi absurde qu’il n’y parait, c’est comme ça que ça se passe. Quand on occupe un terrain, on a envie de l’agrandir, que ça aille plus loin. C’est un danger pour tous je crois. Cela contribue à porter un réel préjudice à l’Islam partout dans le monde alors que cette religion est régie par la tolérance et l’amour. Quand ces deux valeurs sont prises en otage, ça fait peur.

En tant que cinéaste et observateur du monde, comment expliquez-vous que l’Afrique soit devenue un point d’ancrage pour certains fondamentalistes ?

C’est un terrain fertile parce que le tissu social est fragilisé. Les gens vivent difficilement, ne peuvent pas toujours se soigner… Disons qu’il y a ce phénomène de naufragé qui s’accroche au crocodile. Toute société est exposée à ça. Il y a une exploitation de la détresse des gens. Raison pour laquelle des jeunes partent de France ou de Belgique. Parce qu’ils sont fragilisés.

Timbuktu : PhotoPensez-vous que la solution réside dans un combat à l’intérieur-même de l’Islam ?

Absolument. Ce combat doit être mené au sein de l’Islam pour que d’autres, les extrémistes, salafistes, wahhabites, ceux qui cassent un mausolée, ceux qui défoncent la porte d’une mosquée, ceux qui arrivent à Timbuktu sans parler la langue, ne se l’approprient pas. Il faut que l’Afrique s’indigne plus fortement. Il y a une incapacité à anticiper et se dresser contre ça. Il faut que des voix s’élèvent.

Le film se situe entre le pamphlet et le conte. Comment avez-vous travaillé le ton global ?

Je crois que faire un film, c’est douter de la manière de porter quelque chose. C’est tâtonner, être capable de rendre l’imperfection visible. Un film est imparfait. Il faut aller non pas dans la déclaration d’une vérité mais prendre du recul. Par exemple : rendre le bourreau pas trop sympathique mais ressemblant. Il veut arrêter la musique mais il l’écoute quand même.

Vous n’avez tourné qu’avec des comédiens amateurs ?

Oui, ils le sont tous à deux trois exceptions près. J’ai recherché dans le monde artistique des gens capables de s’exposer.

Timbuktu : PhotoConsidérez-vous Timbuktu comme un film militant ?

Je ne suis pas un grand militant (rires). Je n’aime pas me positionner comme ça. Je n’aime pas être celui qui est courageux de faire ce que je fais. Quand on réalise un tel film, on s’approprie le combat réel de ceux qui le subissent. Ils sont les plus courageux et je dois faire profil bas face à ça.

Est-ce que l’appellation « cinéma africain » vous agace ?

C’est aux gens d’évoluer quelque part. Ce n’est pas non plus méchant. On se plait à banaliser, à uniformiser. C’est comme l’Afrique qui serait noire alors qu’elle n’est pas constituée d’une seule couleur. Elle a des identités multiples. C’est ceux qui ont la parole, qui écrivent, qui doivent faire ce travail… Comme les journalistes par exemple (rires).

Que peut le cinéma en Afrique ? Quel est son rôle ?

(Réflexion) Je ne crois pas qu’il puisse changer ou ait un rôle fondamental. Le cinéma oui, un film non. Plusieurs films combinés, plusieurs expressions culturelles peuvent en revanche le faire. Les sociétés doivent changer et évoluer. Et pas l’Afrique en priorité.

Timbuktu : PhotoTravaillez-vous toujours pour l’association « Des cinémas pour l’Afrique » ?

Malheureusement, ça s’est arrêté avec le conflit au Mali. Nous étions prêts à ouvrir une salle mais il y a eu l’occupation et le coup d’état au nord. On avait les fonds, les financements. Les choses ont été annulées à deux doigts de la concrétisation. On va peut-être voir à Saint-Louis au Sénégal. On mène un combat mais il faut que les personnes des pays concernés se sentent investies.

Après Bamako et Timbuktu, quelle sera la prochaine destination ?

Je ne sais pas. Peut être Pekin (rires).

Propos recueillis par Mehdi Omaïs

Leave a reply