« 13 Reasons Why » : je ne m’en remets pas…

Sans titre 2J’y suis entré, l’air de rien, sans savoir. Sans anticiper le choc que cette incursion allait provoquer au plus profond de mes entrailles. Oui, il y avait le fameux pitch : une adolescente se suicide et laisse derrière elle plusieurs cassettes dont chacune des faces s’offre aux personnes qu’elle estime responsables de son mal-être. Loin de moi l’idée de minimiser ce douloureux postulat de départ mais l’imagerie proposée aux prémices, avec ce lycée comme on en a vu des milliers, ces pom-pom girls, ces matchs de basket-ball, ces bals de promo, m’a berné. Je croyais naïvement qu’elle viendrait neutraliser le message, atténuer le constat, que les clichés rémanents de la période teen-age (made in US) émousseraient l’entreprise. Je me suis lourdement fourvoyé. La série 13 Reasons Why, adaptée des best-sellers de l’écrivain Jay Asher, s’affranchit, d’un coup de lame immédiat, des irréformables velléités de l’entertainment. Une expérience éreintante, bouleversante, totalement en inadéquation -de mon point de vue- à toute tentative de binge watching. A chacun sa sensibilité. La mienne a en tout cas exigé des temps d’arrêt entre chaque épisode, entre chaque trajectoire, entre chaque coup de marteau qui enfonce le clou de la dépression, de l’isolement, de la suffocation, dans les chairs de Hannah Baker.

Elle s’appelle comme ça l’héroïne de la production Netflix. Hannah Baker. Sa mort, je ne m’y résous pas. Raison pour laquelle je couche ces phrases, qui viennent s’ajouter aux montagnes de mots qui ont déjà enseveli la toile depuis la diffusion de la série. Une flopée de réactions justifiée, compréhensible, tant le destin de cette jeune fille cristallise toute la violence des cours d’école, toute l’ignominie des lois du groupe, toute la difficulté de sortir de l’adolescence sans perte ni fracas. Elle avait tout pour elle, Hannah. Elle était belle. Son sourire rallumait jusqu’à une étoile morte. Son énergie était une inspiration. Quand elle a rejoint son nouveau lycée, elle ne s’attendait pas à être aspirée par une spirale implacable dont l’enclenchement fut cette satanée photo compromettante balancée à tous les élèves du lycée après un rancard lambda. Elle était pourtant forte, Hannah. Oui, j’ai besoin de répéter son nom, ne me demandez pas pourquoi. Elle avait l’intelligence, l’amour de ses parents, l’altruisme chevillé au corps, la capacité à rebondir. Mais ça n’a pas suffi. Non. Car dans ce champ de guerre qu’est le lycée, avec ces couloirs labyrinthiques pour tranchées et ces téléphones portables (autorisés) pour armes de destruction massive, la mort peut parfois sévir et déchiqueter les rêves.

Utilité publique

Par strate, l’étau se resserre. D’épisode en épisode, l’horreur de la réalité est regardée droit dans les yeux, sans détour ni circonvolution. Hannah vacille, connait des regains de survie, lutte, tend sa main vers qui voudra bien la saisir, fort, très fort, mais l’alignement des planètes/visages maléfiques est beaucoup trop dévastateur pour ses fluettes épaules. Le mot de trop, le geste diaboliquement banal, la lâcheté et/ou la faiblesse des uns, l’égoïsme des autres, corrompent et obscurcissent son horizon. Et cette effroyable mécanique, dopée au kérosène du collectif, n’a rien d’illusoire. Elle n’est aucunement travestie pour rendre le résultat plus palpitant. Jamais. C’est dans l’extrême réalisme de son déploiement que siège justement toute la virtuosité de 13 Reasons Why. L’écriture, d’une lucidité et d’une subtilité déroutantes, transforme de fait le visionnage en épreuve inconfortable et nécessaire. Elle soulève une fournée de questions. Des interrogations douloureuses mais saines. Des Hannah Baker, il y en a partout. On en a croisées plus jeunes. Nos enfants en recroiseront. Leurs chances de marginalisation sont actuellement décuplées par les diktats de l’ère 2.0. On peut les sauver. On doit les sauver. Alors montrons cette série d’utilité publique au plus grand nombre, aux parents comme aux ados, ici comme ailleurs.

J’espère que la colère que vous éprouverez à la fin de l’intrigue sera convertie en énergie constructive. Comment rendre le lycée moins hostile ? Comment déconnecter les ados de leurs écrans, de la virtualité, pour les reconnecter à eux-mêmes et aux autres ? Comment faire pour qu’ils se voient vraiment, qu’ils échangent avec des gestes et des mots et non pas avec des émoticons et des tweets ? 13 Reasons Why nous rappelle à l’ordre, nous met face à nos responsabilités, nous sonde en profondeur. Elle tire la sonnette d’alarme, comme le ferait une campagne de sensibilisation. Je la perçois de cette façon : un avertissement qui nous pousserait à tendre l’oreille, à être plus vigilents et à prononcer/offrir la phrase thérapeutique. Les mots peuvent tuer. Ils le font tous les jours. Ils peuvent également dégoupiller les ténèbres, faire circuler l’air quand tout est putride, changer des vies. Oui, je ne me résous pas à la mort de Hannah Baker. Je ne fais pas le deuil de la superbe histoire d’amour qu’elle aurait dû/pu vivre avec Clay. Derrière son sourire, je lis des SOS, j’entends un cri sourd. Un hurlement glaçant qui me donne l’envie d’aider, d’agir. Pour enrayer. Et ne plus pleurer. Dans A l’ombre des jeunes filles en fleurs, Marcel Proust écrivait : « L’adolescence est le seul temps où l’on ait apprit quelque chose ». Faisons en sorte que ce quelque chose porte un nom universel : l’amour (de son prochain).

Mehdi Omaïs

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