Critique : Moonlight

moonlightDe Barry Jenkins avec Trevante Rhodes, Andre Holland et Mahershala Ali

La note des Cinévores : 4étoiles

Au clair de lune, la croyance voudrait que les vérités de l’homme soient visibles. Que son identité, et les (belles) caractéristiques qui la composent, soit révélée dans sa nudité, sa pureté, son évidence. Moonlight, le nouveau film de Barry Jenkins, trouve sa source au cœur de cette métaphore poétique. Une image qui va servir de moteur pour esquisser, dans une valse mélancolique en trois temps -enfance, adolescence, âge adulte-, le portrait de Chiron. On le découvre d’abord le cœur battant, traqué comme une bête, fuyant des camarades de classe tyranniques. Roulé en boule, dans une position fœtale, le souffle court. Il se demande pourquoi la haine converge vers lui. Il cherche du réconfort, à tout prix, mais sa mère, rongée par son addiction aux drogues, ne peut lui offrir l’atmosphère amniotique et protectrice tant espérée.

Alors la providence place sur sa route Juan (émouvant Mahershala Ali), un caïd au grand cœur qui lit en lui comme dans un livre ouvert. Dans un monde âpre, celui des rues périlleuses des cités sensibles de Miami, la mine doit être altière et le cuir dur. C’est cette posture qu’il essaiera d’inculquer à l’enfant, sans laquelle il est presque impossible de tenir droit face aux codes sociétaux en vigueur. Chiron grandit, se demandant s’il est homosexuel. Se lie d’amitié avec Kevin, qu’il regarde, guette et désire secrètement. L’adolescence arrive comme un nuage de cyclone, portant des gouttes aussi violentes que des balles. Il faudra passer entre, essayer de lutter, de résister face à l’adversité et la méchanceté des salles de classe. Les insultes pleuvent, le corps se racornit, en boule. Se réduire pour essayer de disparaître à la vue des autres.

Chiron ose un baiser. Kevin accepte. Ils se touchent et les années passent. Le troisième acte s’ouvre sur le corps, encore, de Chiron. Cette fois, la musculature impressionnante a gommé la fragilité d’antan. Il y a de la robustesse. Les bullies du passé sont des djinns enfermés dans une boîte noire. Il est devenu à son tour un caïd, les dents d’argent, quelques hommes à tout faire à portée de main. Pourtant, en dépit de ses mutations identitaires, de ce nouveau moi qu’il a construit, la vulnérabilité est en embuscade. Elle attaque parfois, le vissant dans une solitude feutrée et tentaculaire. Dans les choix narratifs de Jenkins, eux-mêmes tirés de la pièce d’Alvin McCraney, il y a cette volonté de raconter les choses sobrement, dans leur linéarité la plus stricte. Avec, entre chaque moment charnière, des ellipses qui laissent le spectateur combler les vides et mieux comprendre la destinée évoquée.

Moonlight raconte, en se protégeant des ressacs lacrymaux, ce que c’est d’être homosexuel dans un socle social où la virilité est un gage d’acceptation, de reconnaissance. Un monde de ténèbres, de violences intimes et extérieures. Pour transformer son essai, le cinéaste américain choisit la pudeur, érigée là avec une élégance folle. Il privilégie les regards, les non-dits ou les phrases inachevées qui, dans leurs brisures, parlent bien plus que les discours. C’est ainsi qu’il parvient à porter le film encore plus loin, vers cette universalité propre à tous ceux qui, ici et ailleurs, souffrent en silence. Souffrent de ne pouvoir vivre en harmonie avec leurs esprits, leurs corps et leurs mondes. Et miracle : la mise en scène, délicate, ne sombre jamais dans l’artifice, malgré une réelle sophistication formelle.

Là aussi, Jenkins fait mouche. Son regard est juste, son sens du cadre irréprochable. Il filme comme il photographie ou peint. Souvent sans dialogue. Car le choix des lieux, des perspectives ou des gestes traduisent chirurgicalement la psychologie de chaque personnage. L’apnée se fait. L’émotion infuse. Elle nous gagne au goutte-à-goutte, par strates. On part d’un héros fermé, hermétique, à une lumière bienfaitrice, libératrice. Celle de ce fameux clair de lune où dansent des silhouettes désormais plus légères, enclines à se frotter au réel sans la peur du lendemain. Un grand hourra à l’ensemble du casting de cette entreprise, des enfants aux ados en passant par les excellents Trevante Rhodes et Andre Holland. Tous brillent avec le même étincellement que l’astre qui a donné son titre au film. N’oublions pas, enfin, d’accorder une mention spéciale à la séquence du restaurant, mémorable.

Mehdi Omaïs

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