Interview : quand Michael R. Roskam revient avec la nuit…

roskamAprès l’impressionnant Bullhead, nommé à l’Oscar du Meilleur Film Etranger en 2012, le réalisateur belge Michael R. Roskam a posé ses caméras de l’autre côté de l’Atlantique pour adapter un roman noir de Dennis Lehane. Dans son deuxième film, Quand vient la nuit, il balade Tom Hardy, Noomi Rapace et James Gandolfini dans les dédales du polar et rend hommage à une certaine imagerie américaine. Rencontre avec un cinéaste très doué.

 

Comment êtes-vous arrivé au cinéma ? Y a-t-il eu un élément déclencheur ?

J’ai fait des études de peinture à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles. Jeune, je dessinais beaucoup, j’écrivais des romans, des textes… Je cherchais ma voie artistique et voulais à tout prix raconter des histoires. Mais je ne savais pas sous quelle forme. Le cinéma, c’était un rêve pour le futur. Un jour, comme ça… Je le voyais comme une conséquence du parcours artistique que je menais. En tournant de petites vidéos expérimentales, j’ai eu des idées de courts métrages… Voilà comment ça a commencé… Mais pour revenir à l’élément déclencheur… (Il réfléchit très longuement) J’avais quatre ou cinq ans. J’étais à la maison et je regardais le début de La belle et la bête de Jean Cocteau. Ça commence comme un conte de fée, en noir et blanc, tout est beau… C’était le soir et mes parents m’ont dit qu’il fallait me coucher. En rejoignant mon lit, je n’arrivais pas à dormir. Je voulais voir la suite. Ça m’obsédait. J’ai quitté ma chambre, je me suis caché et j’ai terminé le film par l’entrebâillement de la porte (il mime le geste en riant). J’ai eu un choc quand la Bête est apparue. J’avais peur. Et quand ça s’est achevé, je n’osais ni retourner dans mon lit ni entrer dans le salon, au risque de me faire gronder par mes parents. J’étais coincé dans un grand couloir noir, caché, j’avais froid. Mon père m’a trouvé après. « Qu’est-ce tu fais ici !!! » (il imite la voix). Je crois que c’est le premier élément déclencheur.

Quand vient la nuit : Photo Tom HardyVous avez réalisé quatre courts métrages entre 2002 et 2007 avant votre premier long : Bullhead. Et là, c’est le choc ! Comment sort-on d’un film aussi retentissant ? Avez-vous eu une forte pression pour revenir ?

La pression… Oui… Mais le désir de faire du cinéma est toujours plus grand que l’angoisse de ne pas réussir. J’imagine qu’on peut être paralysé par un succès, avoir peur du deuxième film, mais ça n’a pas du tout été mon cas. J’étais néanmoins conscient qu’il y avait de l’attente autour de mon travail…

Variety vous avait d’ailleurs inscrit dans sa prestigieuse liste de cinéastes à suivre l’année de sortie de Bullhead…

Oui… Vous savez, le meilleur moyen de vaincre la pression, c’est de continuer sans se poser trop de questions. Je suis toujours très confiant au moment où je réalise, je me sens à ma place malgré le stress et les intenses réflexions. Ce qui est bien avec Quand vient la nuit, c’est que le scénario était de quelqu’un d’autre (il avait signé celui de Bullhead, ndlr). C’est la première fois que je réalise une œuvre que je n’ai pas écrite. Ça m’a calmé d’une certaine façon parce qu’on partage un peu la responsabilité (rires). Et tu sais déjà que tu as le back-up d’une super histoire.

Quand vient la nuit : PhotoComment êtes-vous arrivé sur le projet exactement ?

Mes agents m’ont donné des scénarios. J’en ai lu énormément et j’ai tout de suite accroché à celui-là. J’ai aimé l’univers qui est dressé et ce portrait d’un personnage isolé, solitaire, bloqué, dans une hibernation existentielle. Un homme qui doit se réveiller à causes d’événements qui le dépassent. Comme Bullhead, c’est un film sur le statisme, sur ces gens qui ont perdu quelque chose, qui ne veulent plus vivre mais qui existent. Et là, un élément du passé ou du présent les réveille, leur donne des coups.

Statique oui. Mais désabusé aussi. Etes-vous un homme pessimiste qui pose un regard désabusé sur le monde ?

Peut-être… C’est une façon de concrétiser nos angoisses. En faisant ça, on se prépare à une sorte de réalité. C’est une façon de… Comme tout le monde, je suis fasciné par la vie. Peut-être parce que la vie est belle alors qu’on sait qu’on va mourir. Ce paradoxe est fou. Je crois que je suis plutôt optimiste mais je ne surestime pas l’importance des choses. Parce que tout est relatif. Ce que j’aime faire, c’est raconter des histoires en donnant du confort aux gens, le temps qu’ils explorent les angoisses qui sont en chacun des personnages. J’aime ouvrir leur ouvrir la porte de leur souhaiter la dire bienvenue. Leur dire que ce n’est pas si dangereux de plonger dans certaines noirceurs… Je veux donner une gifle qui fait pas mal… Une gifle au ralenti… (rires)

Garder votre intégrité et votre patte, c’était dur en tournant aux Etats-Unis ?

Faire un film, c’est difficile n’importe où. La grande différence aux USA, c’est qu’on travaille plus en équipe, avec la présence des producteurs, des financiers ect… Ce n’est pas seulement une création artistique mais la production d’un artéfact. Beaucoup de journalistes me demandent si je me suis senti libre sur ce projet. (Réflexion) En Europe, dès le premier film, on est considéré à 100% comme auteur. Aux Etats-Unis, on doit mériter ce titre car la personne qui prend les décisions finales est celle qui met l’argent. La dynamique différente. Scorsese ou Nolan sont devenus auteurs par exemple.

Quand vient la nuit : Photo Noomi Rapace, Tom HardyOn a quand même fait appel à vous en tant qu’auteur, non ?

Oui mais il fallait que je discute toujours de mes intentions avec ceux qui mettent l’argent. Ce n’est pas grave. Je crois que la liberté totale est destructive. Elle représente la mort. On est créatifs parce qu’on cherche des solutions. Il y a des solutions parce que surviennent des problèmes. Il y a des problèmes à cause de la présence d’obstacles. Et s’il y a des obstacles, c’est parce qu’il y a une limitation. C’est ainsi que nait la créativité. J’étais libre de montrer une de mes facettes artistiques totalement influencée par la culture américaine.

On le sent sur chaque plan. On a presque l’impression que vous tentez de reproduire des tableaux de grands peintres américains…

Exactement… J’aime bien faire référence à un peintre pour créer un cadre. Il y a l’influence certaine de George Bellows. Il a fait le portrait de Brooklyn au début du 20ème. La vie de la rue, le quartier populaire… Ses tableaux sont magnifiques. Il était notre source d’inspiration. Nous voulions prendre un Brooklyn réaliste et existant, qui est là, et le peindre avec l’œil d’un poète. Hopper était un peu comme ça mais plus rigide et froid. Chez Bellows, il y a des portraits incroyables. Je vous les conseille ! Il y a d’ailleurs eu une expo de lui à New York au moment où on tournait Quand vient la nuit.

Tom Hardy était-il votre premier choix ?

C’est un super comédien. J’ai adoré Bronson, Warrior, La taupe, Inception… J’ai directement vu en lui un comédien absolu, avec une voix et un visage changeant, à la Marlon Brando et Gary Cooper. Je voulais quelqu’un capable de cacher quelque chose, d’être troublant et fascinant. C’était le choix idéal…

Un mot sur James Gandolfini, qui campe son dernier rôle au cinéma dans votre film ?

J’étais fier de l’avoir. Vous savez, on travaille toujours comme si c’était notre dernier film… Je suis heureux que sa propre famille soit fière du résultat. Ses enfants, son épouse, ses amis et ses fans sont très satisfaits de ce dernier rôle. C’est quelque chose qui me rend heureux. C’est un honneur. Mais à côté de ça, Jim is still alive !

Propos recueillis par Mehdi Omaïs