Interview : Alexandre Mathis raconte l’Amérique de Terrence Malick !

mathisLicence d’histoire, diplômé de l’ESRA, Alexandre Mathis est un cinéphile accompli. Après quatre années passées à la tête du blog Plan-C, il a rejoint en 2011 le collectif Playlist Society, tout en collaborant ponctuellement pour Filmosphere et Accreds. A tout juste 26 ans, il livre une monographie passionnante (Editions Playlist Society – 14€), baptisée Terrence Malick et l’Amérique, sur l’un des cinéastes les plus mystérieux de la planète. Rencontre.

 

Ecrire un livre sur le cinéaste le plus secret de la planète, c’est casse-gueule non ?

Pas tant que ça. Ça évite de se noyer dans des montagnes de livres sur le sujet, dans des torrents d’interviews. Et puis, ça oblige à une rigueur : se concentrer sur les films, et donc sur le contenu, pas sur des interprétations hasardeuses. D’ailleurs, si on a fait ce livre avec Playlist Society, c’est parce qu’il y a un manque à combler. Personne en France n’avait encore fait de monographie de Malick. C’est tout de même étonnant pour un réalisateur dont on parle tant.

D’où te vient cette fascination pour l’œuvre de Terrence Malick ? Qu’est-ce qui te touche dans sa patte ?

J’ai un rapport assez unique avec Malick. J’aime immensément des dizaines d’autres réalisateurs, de Francis Ford Coppola à Nanni Moretti. Mais Malick, c’est différent. J’ai un lien intime qui me rattache à lui. J’ai découvert ses films à la sortie du nouveau monde, j’étais encore lycéen. Sans le moindre effort pour m’y plonger, Le nouveau monde m’a percuté. Alors qu’il parle de l’Amérique, des amérindiens, d’animisme et d’une culture qui n’est pas la mienne, j’avais la sensation que chaque plan, chaque parole, racontait ce que j’étais. Je m’y suis donc plongé plus profondément encore. Quant à savoir ce qui me touche le plus dans son style, c’est difficile… Il faudrait d’abord définir la « patte Malick » et c’est bien plus complexe qu’on ne le pense. Au-delà des motifs récurrents, il y a une méthode de travail, une vision du monde et d’autres petites choses qui forment un tout. Du coup, pour en extraire ce qui me touche le plus, il me faudrait isoler un élément. Pas facile. Néanmoins, je trouve inouï de le voir creuser un sillon aussi détectable tout en apportant à chaque fois autant de nouveaux motifs, de nouvelles sensations et de nouveaux questionnements.

Au-delà de l’amour que tu lui portes, trouves-tu que son style visuel, très reconnaissable, a ses limites ?

Ça le serait s’il ne le faisait pas évoluer. D’ailleurs, tu me parles de style visuel, mais il y a aussi un style de narration (qu’on appelle « décentrée ») et un style sonore dans sa manière de coller les bribes de paroles, de musiques et de silences. Et jusque-là, il a toujours ajouté des pierres à son jardin. Après La balade sauvage, il intègre la récurrence du mouvement de caméra aux Moissons du ciel. Avec La ligne rouge, il adopte la voix off multiple. Pour Le nouveau monde, son nouveau chef-opérateur Lubezki (connu aussi pour avoir travaillé sur Gravity, Les fils de l’homme ou Birdman, ndlr) offre de nouvelles teintes et affirme un style d’image. Pour Tree of life, le gigantisme du film suffit à montrer encore une réelle évolution, en utilisant des images du cosmos, de la création de la vie, le tout dans un montage vertigineux. Même A la Merveille contient de grosses évolutions. Pour la première fois, la banlieue américaine devient froide et sans vie. Il pousse aussi au paroxysme sa technique de montage, à tel point qu’on a affaire à un film impressionniste, quasi expérimental. Il me rappelle les grands mélodrames des années 20 comme Ménilmontant, Autumn Fire ou les films d’Epstein. Et puis, globalement, je me fiche des éventuelles redites dans l’art. J’applique au cinéma ce que j’aime dans les autres arts, c’est-à-dire la création d’un univers en une mosaïque de créations.

Qu’as-tu découvert d’inédit ou de surprenant lors de tes recherches ?

L’aspect « conte de fée » de La balade sauvage ne m’avait pas sauté aux yeux. C’est en lisant le livre d’Ariane Gaudeaux qui est consacré à ce premier film que ça m’est apparu comme évident. Il n’y a qu’à dérouler le fil de cette idée pour comprendre toute l’ampleur de ce film culte. Mais plus globalement, travailler au long court sur une filmographie aussi restreinte m’a obligé à me concentrer sur la mise en scène, sur le concret. A un moment dans mes recherches, je m’égarais un peu trop dans les concepts et la théorie. En revoyant Tree of life, je me suis aperçu que tout était là, sous mes yeux, qu’il fallait revenir aux faits et que la théorie ne devait que servir cette démarche. Je voulais revenir aux sensations à décrypter. De toute façon, c’est comme ça que je perçois l’analyse en cinéma : mettre des mots sur des sensations. Comprendre pourquoi on rit, on pleure, on s’ennuie ou on a peur. Alors je ne nie pas qu’il y a des concepts et de la théorie, mais j’essaie de toujours l’utiliser à des fins pédagogiques. Je ne veux pas rendre Malick plus élitiste qu’il n’est déjà perçu. Au contraire, je crois que son cinéma a vocation à toucher un large public.

En quoi sa peinture de l’Amérique est-elle si singulière ?

Ce que je démontre dans le livre, c’est qu’elle n’est pas si particulière justement. Il est un héritier de la culture américaine classique. En peinture, il puise chez les luministes ; au cinéma, il est influencé par George Stevens ; son travail a des points communs avec Herman Melville, l’auteur de Moby Dick. Plus généralement, il est un héritier de ce qu’on appelle l’americana. Après, il ne faut pas nier le particularisme de son travail, aussi influencé par son vécu et par le monde européen.

Quelle est ton film préféré de Terrence Malick ?

Le nouveau monde forcément. Il revient aux origines : non seulement les origines de l’Amérique comme territoire mais aussi les bases de la morale étasunienne. Il y est question de paradis perdu, de mensonge, de trahison mais aussi d’amour fou.

Es-tu confiant pour Knight of Cups ?

Je ne sais pas si je suis confiant mais je suis intrigué. Je n’aime pas juger un film sur une bande annonce. Il n’y a qu’à voir celle du Nouveau monde, elle ne reflétait en rien l’ambiance du long métrage.

Propos recueillis par Mehdi Omaïs

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